HyperCarte vise d'une part à montrer la complexité de la comparaison statistique des unités territoriales, d'autre part à s'affranchir des maillages en permettant à l'utilisateur de générer des cartes lissées. Cela suppose l'implémentation et l'explicitation de réflexions théoriques et de méthodologies développées dans le cadre de l'analyse spatiale des phénomènes sociaux.
Il n'existe pas de représentation cartographique objective d'une distribution d'un phénomène social, mais une infinité en fonction des hypothèses faites par l'observateur sur les contacts qui peuvent s'établir entre les individus dans l'espace et dans le temps, sur le poids des institutions au sein de leur espace de compétence ou encore sur les répercussions spatiales des modes de gouvernance.
Une étude des formes sociales dans le cadre d'un maillage territorial postule implicitement la pertinence de ce maillage en termes relationnels et est parfaitement légitime dès lors que l'on a pu montrer que les limites de mailles sont bel et bien des limites de système sociaux disposant d'une relative autonomie (flux, réseaux sociaux) ou d'une pertinence par rapport au phénomène observé (fonctions). Il est ainsi pertinent de produire une cartographie du chômage dans le cadre des zones d'emploi si l'on estime que les délimitations opérées par l'INSEE aboutissent à des territoires cohérents en terme d'emploi. Il est également légitime de produire une carte du chômage dans le cadre des départements ou des régions si l'on observe que ces entités territoriales disposent de moyen d'action ou de subvention en matière de lutte contre le chômage.
Des méthodes d'analyse spécifiques (Grasland C., 1997) permettent de repérer les lieux de contacts entre des entités territoriales présentant des niveaux différents pour l'indicateur considéré et de dresser une carte des discontinuités révélatrice des lieux potentiels de mise en tension des territoires et des sociétés. On peut également, dans le cas de maillages emboîtés (e.g. Etats et régions de l'Union Europénne) examiner de façon déductive si les frontières du maillage de niveau supérieur sont le lieu de discontinuités plus fortes que les autres limites et mesurer des tendances à l'homogénéisation ou au contraire à la différenciation des territoires.
Ainsi, plusieurs maillages et échelles d'analyses différents peuvent être pertinents pour cartographier une même donnée , le choix doit s'opérer en fonction de la problématique envisagée ou du niveau politique d'intervention envisagé. Ainsi, si une cartographie à l'échelle des régions peut masquer l'ampleur des disparités entre les domaines urbain et rural, ou au sein même des villes, cela n'implique pas que l'option atomiste consistant à rechercher systématiquement les échelles d'analyse les plus restreintes possibles soit plus apte à révéler la manifestation des dynamiques sociales et politiques à l'oeuvre. Favoriser l'analyse simultanée à plusieurs échelles constitue l'un des objectifs d'HyperCarte.
Les cartes classiques de densité, établies dans le cadre d'un maillage, se fondent par exemple sur l'hypothèse implicite que "deux individus localisés à l'intérieur d'une même maille territoriale auront plus de relation que deux individus localisés dans des mailles territoriales différentes. Une étude des formes sociales fondée sur une fonction d'accessibilité spatio-temporelle permet au contraire d'éliminer la grille territoriale de collecte initiale de l'information et de repérer des formes spatiales variables selon la portée des interactions retenue. Un même point de l'espace peut se situer localement (voisinage de 5-10 km) dans un espace à faible chômage tout en étant immergé dans une région à fort chômage si l'on change le rayon de lissage (voisinage de 50-100 km). On peut donc soit choisir une portée précise en fonction des hypothèses et du questionnement de l'observateur de la carte; soit au contraire jouer sur deux ou plusieurs portées spatiales et repérer ainsi des inégalités socio-spatiales relatives. Si les discontinuités spatiales sont éliminées par construction (le lissage rend le phénomène spatialement continu), l'analyse des gradients absolus ou relatif de l'indicateur permet comme dans le cas précédent de repérer les zones de tension (forts gradients) susceptible d'être exploitées par des flux dissymétriques.
Dans les deux cas (changement de maillage ou changement de portée de la fonction de voisinage) il est nécessaire de disposer d'un outil cartographique ouvert et interactif permettant de générer rapidement l'information qui répond le mieux à la demande de l'observateur de la réalité sociale en fonction de ses hypothèses et de ses objectifs.
La prise en compte des temporalités sociales, c'est-à-dire l'introduction explicite d'hypothèses sur les contraintes exercées par le budget-temps des individus sur leur mobilité spatiale pourra se fonder sur les acquis anciens de la time-geography et les travaux plus récents menés par exemple dans le cadre des bureaux du Temps. Même si l'objectif du projet HyperCarte demeure la mise au point de procédures cartographiques automatiques applicables à un grand nombre de situations, il est indispensable de prévoir des options permettant aux utilisateurs de remplacer par exemple la métrique euclidienne (distance à vol d'oiseau) par une métrique quelconque (e.g. matrice de distance-temps ou de distance-coût) ne respectant pas nécessairement les propriétés d'homogénéité et d'isotropie. Au prix de modifications mineures du logiciel, on espère proposer des procédures interactives de calcul des indicateurs sociaux dans des voisinages temporels de 1h, 2h ou 3h plutôt que des voisinages spatiaux de 50, 100 ou 200 km.
La prise en compte des réseaux spatiaux et des réseaux sociaux suppose plus généralement l'introduction à terme d'un jeu complexe de métriques mesurant les proximités entre les lieux à l'aide d'indicateurs multiples relatifs aux infrastructures de transport (individuels/ collectifs, unimodaux/multimodaux, temps/coût, fréquence/vitesse, ...) mais aussi aux infrastructures sociales (similarité des groupes sociaux, complémentarités des acteurs économiques, ...). Le but d'HyperCarte n'est pas de recenser ou de mettre en oeuvre d'emblée toutes les possibilités mais de construire une architecture logicielle suffisamment ouverte et performante pour que des métriques multiples utilisant un nombre élevé de paramètres puissent être introduites par l'utilisateur au cours de la phase d'implémentation du logiciel sur une base de données et une problématique précises.
La prise en compte de segmentations sociales des pratiques spatiales constitue la partie la plus délicate de l'analyse mais aussi la plus fondamentale d'un point de vue théorique. L'introduction de métriques de plus en plus raffinées n'a en fait guère d'intérêt si le capital de mobilité varie fortement d'un groupe social à l'autre et si le calcul d'une accessibilité sociale ou spatiale moyenne n'a pas de sens pour la société considérée. Il vaut sans doute mieux, dans certains cas, utiliser des métriques simples (distance, temps, appartenance), mais introduire des paramètres d'accessibilité et de mobilité variables en fonctions des groupes sociaux considérés. On pourrait ainsi produire des cartes de potentiel d'accès au marché de l'emploi qui varieraient en fonction des infrastructures disponibles (individuelles, collectives) et du capital de mobilité des populations concernées (e.g. possession ou non d'un véhicule automobile, d'une carte de transport, ...).
Les méthodes d'analyse spatiale mises au point pour appréhender de façon multiscalaire la distribution d'une population humaine ont été ensuite étendues à l'analyse de sous-population (jeunes, vieux, chômeurs), d'attributs des populations (revenus, niveau d'étude), d'événements touchant ces populations (naissances, décès, ...) voire plus généralement de ressources ou d'équipements auxquels ces personnes peuvent souhaiter accéder (commerces, services, zones de récréation). Quel que soit le phénomène social considéré, on a presque toujours avantage à combiner une approche discrète fondée sur des dénombrement territoriaux (e.g taux de chômage par région, département ou zone d'emploi) et une approche continue fondée sur des hypothèses d'accessibilité et de mobilité spatio-temporelle (e.g. taux de chômage dans des voisinages de œ heure, 1 heure ou 2 heures autour du lieu de résidence).
Les travaux antérieurs déjà réalisés dans le cadre du projet HyperCarte ont montré l'intérêt de la confrontation entre des métriques territoriales discrètes (maillage) et des métriques spatiales continues (distance) pour une meilleure appréhension de la dimension spatiale des phénomènes sociaux. Mais l'introduction de ces deux métriques dans un logiciel cartographique interactif ne constituera qu'une étape et d'autres développement doivent déjà être programmés si l'on veut enrichir la palette d'analyse cartographique des réalités sociales qui constitue le but du projet HyperCarte.
$Revision: 742 $ on $Date: 2013-10-09 18:22:03 +0200 (Wed, 09 Oct 2013) $ by $Author: blerubrus $